• Bûcherons aussi

    Les personnes qui se sont rendues à Valsenestre par la route, ont remarqué la gorge profonde qui s’ouvre sur la droite en montant. Cette gorge a été creusée par le Béranger affluent de la Bonne.

     

    Entrée de la gorge

    Très étroite et profonde au départ de la Chapelle en Valjouffrey, son encaissement diminue au fur et à mesure que l’on monte vers Valsenestre. Les deux parois de la gorge sont couvertes de résineux essentiellement : sapins, épicéas, mélèzes. Il est facile de comprendre que leur exploitation pose un problème sérieux. Dans la première moitié du 20e siècle et probablement plus tôt, ces bois étaient exploités par les paysans eux-mêmes avec les moyens de l’époque et beaucoup d’intelligence pour alimenter les scieries nombreuses sur la commune. Du bois était vendu aussi aux scieries de La Mure

    Mon père au retour de la première guerre conduisait régulièrement des charrois de grumes à La Mure via Malbuisson et Pont-haut. Le viaduc de la Roizonne a été construit beaucoup plus tard.

    Les  arbres de Valsenestre avaient la réputation d’être très élancés car attirés par la lumière.

    Le fond de cette gorge sauvage, voire hostile ne possède pas de chemin, Il serait emporté chaque année par les crues du Béranger et obstrué par les éboulements de rochers venant du versant gauche du torrent.

    Les arbres étaient abattus à l’intersaison par les villageois quand les récoltes leur laissaient du temps libre. Les arbres abattus à la cognée étaient envoyés au fond de la gorge avec les pertes qu’on imagine vu la configuration des lieux.

    Ce n’est que l’hiver suivant que ces paysans s’intéressaient à ce jeu de mikado géant disposé au fond de la gorge.

    A partir du pont de la Chapelle ces bûcherons improvisés armés de pelles traçaient une tranchée dans la neige au font de la gorge. A certains endroits cette tranchée faisait plusieurs mètres de profondeur pour, seulement un mètre de large, de temps en temps, il fallait scier au passe-partout un arbre en travers pris dans la neige. Ces fortes épaisseurs à trancher étaient dues à des avalanches qui avaient fini leur course dans le Beranger. Il n’était pas rare de trouver des truites prises dans la neige parfaitement conservées! Parfois c’étaient des blocs de rochers qui se trouvaient dans l’axe de la tranchée, il n’était pas question dans ce cas de les contourner, les casser à la main aurait coûté trop d’énergie à ces travailleurs qui n’en manquaient pourtant pas. Parmi tous les savoirs qui faisaient la richesse de ces hommes, ces bûcherons paysans maitrisaient tout naturellement  l’emploi de la dynamite. La mèche lente, et les détonateurs n'avaient pas de secrets pour eux. Les plus gros blocs finissaient fracassés et retombaient en pluie de « météorites ». C’étaient plusieurs centaines de mètres de tranchée qu’il fallait ouvrir pour atteindre les billes de bois à dégager et traîner jusqu’au pont de la Chapelle.  

    Pendant ce long et rude travail, il ne fallait pas perdre de vue l’évolution du temps, car se faire prendre au fond de la gorge par une coulée de neige eut été dramatique!  Souvent des coulées occasionnées par un redoux ruinaient le travail accompli, tout était à recommencer.

    Une fois la tranchée  achevée, c’est les chevaux qui entraient en scène. Ces braves bêtes étaient heureuses de rompre le long repos hivernal imposé dans l’écurie. Leurs sabots étaient équipés pour la circonstance. Les fers étaient pourvus  de clous spéciaux.  Ces clous avaient des têtes pyramidales qui dépassant d’un bon centimètre la surface du fer.

    Bûcherons aussi

    Type de cheval utilisé à l'époque

    Les chevaux ainsi  chaussés faisaient des allers-retours docilement trainant sur la neige tassée une bille impressionnante avec une étonnante facilité, sous l’œil vigilant de leurs propriétaires. La moindre blessure de leur bête eut été catastrophique pour le travail des prochaines récoltes.

    Rares étaient les paysans qui possédaient deux chevaux, ils achetaient un poulain et l’élevaient jusqu’à ce qu’il soit apte au travail et ainsi remplacer l’ainé.

    Enfant, j’ai vécu émerveillé cette page de vie locale, fier de faire des aller retours sur le dos confortable de ces chevaux musclés choyés par leur maitre Ces bêtes et leurs maitre représentaient la seule énergie disponible à l’époque ! Je n’imaginais pas alors que je vivais les derniers moments d’un mode de vie en train de disparaitre

    Je me promets depuis des décennies de remonter cette gorge depuis la Chapelle jusqu’aux prairies de Valsenestre. C’est assurément la plus secrète et la plus sauvage du valjouffrey.

    Pour parvenir à cheminer au fond, il faut impérativement que l’eau soit très basse. De façon à pouvoir franchir le torrent en de multiples endroits

    Ce site a pour l’instant échappé aux turbineurs compulsifs qui semblent ne voir dans ces eaux sauvages étincelantes que des billets de banque à la dérive… La vigilance  reste de mise. Dans un environnement général où le profit sans état d’âme dicte sa loi.


  • Commentaires

    1
    totem
    Lundi 22 Juin 2015 à 16:24

    Intéressant, je ne connaissais pas cette page d'histoire de Valjouffrey.

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